LA CENSURE... Saint Seiya au coeur du débat !

Voici un article très évocateur sur la censure, écris par Cédric Littardi et Marie Moretti pour Manga' Distribution. Il répondra, je l'espère, à toutes vos interrogations concernant le "charcutage" de nos séries favorites.

 

DOSSIER " LES DIFFERENTES CENSURES "
Par Marie Moretti et Cedric Littardi

"Quoi ? Comment ça, on ne le voit même pas attaquer et il a tué son adversaire! Et puis pourquoi la musique s'est soudainement arrêtée ? Oh non, ils ont encore coupé mon programme préféré. Ce sont vraiment des .... ". (la suite est censurée)...
Il y a peu de chance que vous n'ayez jamais pensé cela en regardant vos séries préférées à la télévision, et ça vous est certainement arrivé plus d'une fois. Voici quelques explications sur cette plaie pour tous les fans d'animation japonaise.

Censure au Japon

La censure pratiquée en Europe donne une bonne excuse à tous les détracteurs de l'animation japonaise pour prétendre que "tous les manga sont violents" et que c'est une honte de diffuser ça à nos chères petites têtes blondes. Cependant, et bien que leurs cheveux ne soient en effet généralement tous blonds, il n'y a pas que nous qui ayons des enfants ! Pourquoi souligner l'évidence ? Parce que les nippons sont l'un des peuples les plus protecteurs de la planète envers leur progéniture. Alors comment font-ils donc pour supporter de voir des scènes que nous n'osons pas montrer à nos enfants ? Il y a plusieurs éléments de réponse à cette question et nous en avons retenu deux pour éviter de s'étendre.

Tout d'abord, comme vous le savez sans doute déjà, cela fait déjà plusieurs années que les amateurs d'animation ne sont plus tous des enfants en bas âge. Alors qu'il y a quelques temps encore les adultes considéraient que les enfants de plus de 12 ans étaient trop vieux pour regarder des dessins animés, à la télévision ou ailleurs, il n'y a pas d'âge limite au-delà duquel on est considéré comme un attardé si on en regarde au Japon. Par conséquent, il y existe un marché segmenté en plusieurs tranches d'âges et différents créneaux horaires. Typiquement, Hokuto no Ken (Ken le survivant) par exemple, est initialement destiné à un public de 16-20 ans. Ces programmes ne sont, bien entendu, pas diffusés à des créneaux horaires où seuls des enfants regardent la télévision mais plutôt dans des créneaux prime time (20h-20h30, à des heures où les enfants peuvent encore regarder la télé) ou encore tard dans la nuit (0h-1h). D'autre part, les susceptibilités sont très différentes entre les nations. Au Japon, beaucoup estiment que la
violence fait partie des choses de la vie qu'il n'est pas nécessaire de dissimuler aux enfants et qui fait partie de l'éducation.

De toute manière, il s'agit d'un phénomène naturellement attirant pour les enfants qui doivent apprendre à reconnaître de quoi il s'agit avant d'apprendre à contrôler ces pulsions. Et comme on se plaît souvent à le dire, le pays fait état d'un taux de
criminalité que bien d'autres lui envient. Précisons cependant qu'il existe  en revanche d'autres domaines où les lois de censure
sont (ou ont été longtemps) très strictes, beaucoup plus qu'elles ne le sont en occident. Mais comme ceci touche essentiellement des programmes destinés aux adultes, nous n'allons pas nous étendre sur le sujet sous peine d'y passer encore plusieurs pages
supplémentaires.

Les limites du modèle japonais en France

Bien entendu, les données du problème changent du tout au tout dès qu'on arrive en France. À l'époque du tristement célèbre Club Dorothée, le dessin animé reste aux yeux de la quasi-totalité de la population française un médium réservé aux enfants.
Les créneaux de programmation étaient donc tous placés les mercredis après-midi, les fins d'après-midi en semaine et les matinées (notamment le week-end). Il s'agit donc d'une cible visée massivement des 8-10 ans mais qui peut s'étendre jusqu'aux lycéens. D'ailleurs, contrairement à beaucoup d'attentes, c'est exactement ce qui se produit et qui a "éduqué" la nouvelle vague d'amateurs d'animation japonaise.Que ce soit bien clair : ce ne sont jamais ceux qui suivent un programme qui demandent à ce qu'il soit censuré. Ainsi les enfants dans ces tranches d'âges étaient très contents des programmes qu'ils regardaient, beaucoup moins mièvres et aseptisés que d'accoutumée. A cet âge là, les enfants savent déjà ce qu'est le sang, l'action ou la violence. D'ailleurs dans une nation qui boit autant d'alcool et qui possède une force armée parmi les premières du monde, il vaut mieux qu'ils en soient conscients.  Grâce à la société de l'information, la maturité des individus arrive beaucoup plus tôt pour certaines choses.Sans vouloir entrer dans ce débat, c'est l'image que les adultes ont de l'enfance qui pose problème.

D'ailleurs l' organisme qui s'occupe de juger de cela, le célèbre Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA), n'est pas réputé pour la jeunesse des membres qui s'y trouvent. Pour insister sur l'étroitesse des mentalités en France un autre exemple est particulièrement révélateur. En 1998 la revue AnimeLand, le plus ancien magazine spécialisé dans l'animation et le manga en France, a été assignée en justice par le procureur de la République Française sous prétexte que la publication n'était pas déclarée sous le régime des "Publications réservées à la jeunesse". Il est pourtant clair pour tous ceux qui l'ont lue un jour ne peuvent la considérer comme telle. Seule la puissance des majors américaines avec leurs récents dessins animés  "pour adultes" parviennent lentement mais sûrement à changer les choses. Malheureusement, ceux-ci sont encore systématiquement associés à l'humour (South Park, Dr Katz). Mais cessons-là cette digression...

La Censure toute puissante

Il faut également voir que le phénomène dont nous parlons date des tous premiers temps de l'animation japonaise. Dans les deux premières séries devenues mythiques, Goldorak et Candy, la censure existait déjà. Dans Goldorak, l'épisode où Vénusia découvre l'identité réelle d'Actarus (et où accessoirement elle apparaît nue) n'a jamais été diffusé. De même dans Candy, la mort du "prince des collines" Anthony, est dissimulée sous les traits d'une maladie et d'un départ au loin ce qui, soit dit en passant, n'a jamais trompé le moindre téléspectateur aussi jeune soit-il. Cette censure était en quelque sorte intelligente, puisqu'il s'agissait de supprimer des pans d'histoire et ensuite procéder à des remodelages. Mais c'est à l'époque de Dragon Ball et des Chevaliers du Zodiaque qu'elle devint une mauvaise habitude. TF1 se mit à diffuser en plein mercredi après-midi des séries manifestement destinées à des personnes beaucoup plus âgées. La pire de celles-ci était sans nul doute Ken le Survivant, mais même une série telle que Juliette je t'aime (Maison Ikkoku) initialement prévue pour les 12-14 ans au Japon était destinée aux 8-10 ans dans ce contexte.

La menace Fantôme

Ce qui est intéressant avec le CSA c'est qu'il n'est pas une menace directe pour les chaînes mais une menace qui plane en arrière plan : il dispose de mesures de pénalités à posteriori, c'est à dire qu'elles sont mises à exécution après la diffusion, quand il est déjà trop tard et que le mal est fait. Par conséquent les chaînes, et dans ce cas plus précisément AB Productions, se voient obligés de se livrer à une autocensure préventive. Malheureusement, étant donné qu'il n'existe aucun texte de loi précis décrivant les interdictions de diffusion, cette autocensure est purement subjective : on essaye d'éviter la diffusion de scènes potentiellement répréhensibles en partant de notions totalement subjectives. Et c'est bien là le problème : il  n'y a personne doté du pouvoir de juger préventivement si une scène peut être diffusée ou pas, comme les épisodes sont produits à la chaîne et qu'il n'existe dans les organigrammes de production aucune "fonction" de ce genre. Ainsi, les coupures peuvent êtres pratiquées à différents niveaux sans véritable souci de cohérence : au doublage, au montage ou encore à la seconde diffusion. Au fur et à mesure que le spectre du CSA rappelle lourdement sa présence, les scènes non-diffusées à l'antenne par peur deviennent de plus en plus nombreuses.

Le problème italien

Comme si nous n'avions pas assez de problèmes dans l'hexagone avec notre organe national, il a aussi fallu que la notre antenne se mesure au problème de la botte. Il n'y avait à priori aucune raison mais tout cela est le résultat des manoeuvres stratégiques du groupe italien de Sylvio Berlusconi, également connu sous les noms de Fininvest ou Reteitalia. En France, ce groupe a lancé sa propre chaîne de télévision, la 5, qui même si elle n'a pas su survivre a modifié profondément le panorama des diffusions (du moins en ce qui concerne l'animation japonaise). L'unité de programmation de jeunesse du groupe, située en Italie et dirigée par A-Valeri Manera, a donc fait un certain nombre d'acquisitions de droits de diffusions communs pour les territoires de France et d'Italie, espérant ainsi réaliser des économies d'échelle.

Pour éviter d'être l'objet des violentes polémiques qui concernaient l'anime nippon en Italie, où le genre fut beaucoup plus tôt diffusé et exploité, l'antenne se contente d'acquérir des programmes "non-violents" par nature (ce qui peut se résumer à, sans robots géants et sans combats en général). Jusqu'ici pas de problème. Malgré cela, le groupe Italien a décidé de pratiquer un certain nombre de coupures dans les séries en question pour éviter qu'elles ne soient répréhensibles d'une quelconque manière. Par exemple, la série Gigi (Minky Momo) lors de sa deuxième diffusion a été systématiquement censurée dans chaque épisode au même endroit dans une scène récurrente : lors de sa transformation, quand on aperçoit sa silhouette vaguement nue. C'est d'autant plus étrange que lorsque la première diffusion quelques années auparavant cette coupure n'existait pas. Toujours est-il qu'une fois que les versions italiennes, déjà censurées étaient prêtes, elles étaient envoyées en France pour la fabrication des versions françaises. D'où le fait qu'avant même que les chaînes françaises prennent la décision d'effectuer des coupures ou pas, les originaux en France étaient déjà diminués par rapport à la version japonaise.

Pour la petite histoire, à la disparition de la 5, les droits de diffusion sur ce catalogue de programmes ont été vendus à AB Productions et les épisodes se sont retrouvés diffusés dans le Club Dorothée. Paradoxalement et malgré les hurlements de certain fans, AB productions n'avait strictement rien à voir dans cet état de fait.

Les différents types de censures

Il y existe tout un panel de genres de scènes qui ont été fréquemment censurées pour des raisons diverses et variées.
Voici une liste non exhaustive des raisons pour cela.
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Le sang et la violence.
La première chose qui a tendance à choquer les "adultes" n'est pas vraiment la violence en tant que tel, sinon on assisterait à un contre-phénomène Pokémon qui est quand même une série extrêmement violente dans l'idée (il s'agit quand même de petites créatures dont la seule raison d'être est de se battre contre d'autres créatures similaires dans le dessein d'acquérir du pouvoir supplémentaire !). Ce qui choque avant tout, ce sont les coups et le sang. Comme si les enfants ne se bagarraient pas dans les cours de récré et qu'ils n'avaient jamais saigné.
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Les réalités et la vraie vie.
Beaucoup de réalités quotidiennes sont tabou pour les enfants, souvent sous le prétexte qu'il ne faut pas leur donner le mauvais exemple. C'est ainsi que dans l'adaptation animée de Lucky Luke, notre héros s'est retrouvé avec un brin de paille entre les dents plutôt qu'une cigarette pour ne pas les inciter à fumer. Il ne faut pas croire que certaines censures similaires ne soient pas pratiquées au Japon déjà dans la conception du dessin animé.
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Le sexe et la nudité.
Tout ce qui a un contenu vaguement sexuel constitue un monde à part que l'enfant ne doit pas connaître jusqu'à ce qu'il pose la fatidique question de "comment on fait les enfants ?". Nous ne parlons bien entendu pas des scènes pornographiques, mais la
moindre allusion peut être jugée indécente. Notamment la nudité, pourtant à la base innocente, est très connotée dans notre culture chrétienne (la femme est responsable de la convoitise qu'elle entraîne chez les hommes, par dans ce genre elle a mené Adam au pêché originel). Comme pour la catégorie précédente, il ne faut pas croire que certaines censures similaires ne soient pas pratiquées au Japon déjà dans la conception du dessin animé. Par exemple, dans le manga de City Hunter le héros (Ryo Saeba / Nicky Larson) "se met au lit"! souvent pour de vrai avec les clientes et autres jolies filles qu'il croise, ce qui n'est pas le cas dans la version originale du dessin animé. Ce qui est plus difficile c'est d'avoir à procéder à un remaniement après coup.
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Le Japonais.
Souvent des paroles en japonais apparaissent à l'écran. Dans des cas plutôt pires, pendant un épisode du dessin animé, on trouve des musiques de fond chantées en japonais sur les pistes audio. D'ailleurs ce ne sont pas forcément toujours des musiques de fond : dans certaines séries à orientation musicale les chanteuses chantent parfois plusieurs minutes en japonais, pendant un concert ou une répétition par exemple. Il n'est pas toujours possible d'adapter ces chansons pour un problème à la fois de budget et de matériel (souvent, seul le générique a le droit à ce traitement de faveur). Par conséquent, il faut souvent pratiquer des censures pour ne pas laisser passer à l'écran des textes en langue étrangère que le spectateur ne parvient à suivre.

Les différentes méthodes de censure

De même qu'il existe divers types de scènes à censurer, il existe un certain nombre de moyens de les faire disparaître dont voici ici aussi une liste sans doute pas exhaustive non plus.
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La coupure sauvage.
De loin la méthode la plus usitée et la plus gênante, il s'agit de couper au montage les scènes qui posent problème. Le spectateur se retrouve avec un véritable hachis d'épisode dont plusieurs méthodes ont été purement et simplement supprimées.
Bien entendu et en général cela ce voit parfaitement : l'image saute et il n'y a pas de raccord son. Les champions toute catégorie de cette pratique sont Dragon Ball Z et Saint Seiya, des séries majoritairement axées sur le combat.
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L'altération des dialogues.
Au stade de l'adaptation, il peut être prévu de changer les éléments qui ne conviendraient pas aux mineurs. Dans Juliette je t'aime par exemple, plutôt que d'indiquer que les héros sont saouls parce qu'ils ont bu trop de saké, leur attitude étrange est liée à un excès de jus de pomme dans le sang qui fait grimper trop haut le taux de sucre dans le sang. Dans Nicky Larson, quand le héros est avec une jolie fille et qu'il se précipite vers des "love hôtel" en criant "un restaurant végétarien" avec son air de sukebe (gros pervers), c'est le même procédé. Il faut bien dire qu'en général, cela ne trompe personne. Tout n'est pas obligatoirement aussi visible et la tension émotionnelle peut être simplement diminuée à l'adaptation comme c'est le cas dans Lady Oscar (Versailles no Bara).
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L'introduction du comique.
L'un des moyens les plus sûrs de désarmer une situation tragique, c'est de la faire tourner en dérision. Ainsi dans une série telle que le Collège Fou Fou Fou (Kimengumi High School) il y a très peu de censures car tout y est à prendre au second degré, et pourtant c'est une sacrée bande de polissons ! D'ailleurs, plus tout cela paraît extrême et plus c'est facile. Ainsi la série qui est peut-être par nature la plus tragique, Ken le survivant, connaît l'adaptation la plus ridicule par le biais des acteurs qui utilisent des sobriquets tels que "Nanto de vison" ou encore "Hokuto à pain" pour parler de leurs techniques ancestrales de combat. Malheureusement, le résultat obtenu est rarement amusant.
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L'arrêt pur et simple.
Cas extrême, mais qui se produit parfois notamment quand les taux d'audience ne sont pas les meilleurs atteints. Quand le diffuseur juge que la série ne peut plus être altérée en préservant la moindre cohérence de contenu, il l'interrompt. Ce fut le cas par exemple de Très Cher Frère (Onisama e). On se demande même pourquoi cette série a été achetée pour diffusion à l'antenne française puisqu'en gros, elle raconte les histoires homosexuelles d'un pensionnat pour jeunes filles de bonne famille. Il faut cependant relativiser cette notion, il faut comprendre que les acheteurs sont souvent obligés de prendre une décision avec 1 ou 2 épisodes en japonais seulement en leur possession.
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L'annihilation du japonais.
Parfois, de manière à enlever des textes japonais écrits à l'écran, les images sont vaguement et partiellement recouvertes d'un filtre dissimulant l'écriture. Une écriture française, généralement pas très jolie d'ailleurs, est ensuite incrustée informatiquement par dessus ce filtre pour y faire figurer la traduction. Si cet effet n'est pas très joli, il a le mérite de garder l'oeuvre compréhensible. Dans le cas des génériques, même s'il s'agit d'un genre de censure un peu en marge, ils sont généralement réécrits et recomposés en France ce qui permet aux auteurs de toucher des sommes impressionnantes en droits
d'auteurs. Dans le cas de chansons au cours des épisodes, même si elles sont centrales à l'intrigue, c'est souvent la méthode de la coupure sauvage qui est exercée pendant toute la durée du chant japonais. On peut trouver des exemples criants dans Max & Compagnie (Kimagure Orange road) par exemple.

Quand le CSA n'est pas le seul méchant

Nous avons également négligé un type particulier de censures, qui n'ont rien à voir avec le CSA (qui n'est d'ailleurs tout de même pas toujours le méchant qu'on voudrait parfois le faire croire). Il s'agit des censures liées à la durée des créneaux de diffusion. Comme vous l'aurez remarqué, il était rare que les dessins animés soient diffusés intégralement avec deux génériques, au début et à la fin. Raison : un manque de temps d'antenne pour diffuser l'intégralité. En effet, les durées des programmes et des coupures publicitaires sont très précises à la télévision. En général, les unités de programmation ne disposent pas du temps qu'elle souhaitent pour les diffusions, et les négociations internes sont souvent difficiles dans les chaînes. Souvent les censures à la diffusion se sont basées là-dessus : quand on manque vraiment de temps, il est tellement facile de ne pas diffuser
la fin d'un épisode. Ainsi par exemple, une scène de conclusion relativement longue a été coupée lors de la première diffusion du dernier épisode de la première série des Chevaliers du Zodiaque (Saint Seiya), cas tragique s'il en est un. De même lors de la diffusion d'Iria - Zeiram the animation sur Canal + plus de 5 minutes avaient été retirées des programmes à chaque diffusion.

Résultat des courses : un n'importe quoi généralisé

Certains reprochent aux fans d'animation de passer leur temps à se plaindre de la censure. Il faut bien dire qu'il y en a qui en font un monument démesuré. Pourtant on ne peut pas leur donner tort. Les descriptions des procédés que vous venez de lire devraient vous donner une idée assez précise de l'état ridicule dans lequel sont diffusés certains épisodes. Et le pire c'est que peu d'émissions sont traitées de cette manière. Par exemple South Park, bourré de vulgarité et de tabous, n'a jamais radouci à l'adaptation. Dans ces conditions il est normal de croire à la persécution. Mais la vérité est sans doute qu'il est très difficile pour les non-initiés de comprendre les mécanismes de fonctionnement de l'anime nippon, d'où des adaptations occidentales qui deviennent pratiquement impossibles.

Le problème de la vidéo

La France, contrairement à plusieurs de ces voisins européens, ne dispose pas d'une législation absolue ni d'un organe de censure spécialisé capable d'exercer son autorité dans le domaine des vidéocassettes. Au Royaume-Uni et en Allemagne, des organismes très stricts limitent la vente des vidéogrammes à certaines catégories d'âge de la population, c'est impossible en France. Les séries qui ont été diffusées à la télévision et qui se retrouvent publiées en vidéocassettes sont-elles pour autant des versions parfaitement intégrales ? Malheureusement non. Mais cette fois-ci, le problème n'est plus juridique : il est technique. Une fois qu'un doublage a été fait, il est pratiquement impossible de faire ce qu'on appelle des "retake", c'est-à-dire des modifications. D'une part, il faudrait réunir à nouveau sur le plateau tous les mêmes acteurs que précédemment et ils ont des emplois du temps souvent délirants. D'autre part, ceux-ci ne se souviennent généralement pas des voix qu'ils avaient prises il y a très longtemps en général. Finalement, le coût de doublage serait faramineux pour quelques minutes seulement et tout cela est généralement exclu. Mais il n'y a pas que le doublage et la resynchronisation longue qui rentre en ligne de compte. Pour remettre en place les scènes censurées, il faudrait encore les avoir conservées. Comme en général une scène censurée ne sert plus à rien, elle ne reste plus sur aucun master en version française. Si les choses avaient été bien faites ce ne serait peut-être pas le cas, mais dans ce domaine le travail se fait tout de même beaucoup dans l'urgence et cette procédure est loin d'être totalement anormale. Il faut donc remonter parfois jusqu'aux masters originaux en version japonaises qui selon toute vraisemblance n'ont pas été conservés pour des problèmes d'espace d'archivage.

Imaginons un peu la situation, pour avoir un master en version intégrale, l'opération la plus logique serait donc la suivante :
- Redemander des masters NTSC au Japon, à des sociétés qui ne sont pas forcément connues pour leurs compétences
d'archivage.
- Les faire transcoder sur format PAL, ce qui est long est très coûteux.
- Resynchroniser le son existant sur les précédents masters PAL sur les nouveaux.
- Identifier les endroits où le son manque et faire des retakes de doublage.

En admettant que tout cela puisse être fait, puisque nous avons vu que dans le cas des programmes venant d'Italie le problème était faussé à la base. Vous pouvez imaginer le coup exorbitant de ce procédé qui fait que les versions qui sortent aujourd'hui ne sont que très rarement intégrales. Cependant, bien que ce soit difficile de le savoir à l'avance, il est clair que nous avons envisagé un cas parmi les pires. On ne sait jamais : parfois les masters contenant les versions intégrales ont été doublés et peuvent êtres retrouvés. En contrepartie, le cas le plus impardonnable concerne les séries qui ont été diffusées une fois avant censure, et dont seuls les masters censurés restent.

Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois

Malgré toute cette polémique, nous ne sommes pas, et de très loin, les plus mal lotis du monde et devrions être relativement reconnaissants de ce que nous avons la chance de voir à la télévision française. Les USA en particulier ont des règles très strictes sur les dessins animés qui s'appliquent depuis la production. L'exemple typiquement cité est celui de la série animée Batman. Typiquement, l'homme chauve-souris est un personnage sombre et sanglant qui est adulé d'une population pas seulement infantile mais également adolescente et adulte. Quant à la série, elle est très bien réalisée. Pourtant plusieurs scènes récurrentes apparaissent en permanence. Vous remarquerez que chaque fois que le justicier masqué balance quelqu'un d'une hauteur, celui-ci tombe dans l'eau ou sur un trampoline (sinon la violence serait intolérable). Les cahiers des charges sont remplis de règles qu'il faut absolument respecter et qui viennent brider la créativité des animateurs (qui sont d'ailleurs les premiers à s'en plaindre). Les américains, extrêmement puritains, ne peuvent se faire à l'idée que leurs enfants puissent voir tout ce qui est politiquement incorrecte et les lobby ne se privent pas pour les faire respecter. D'où les nombreuses séries complètement insipides qui y ont été diffusées pendant de nombreuses années.

Le problème de la durée

Certains font de la durée finale d'un épisode leur cheval de bataille quand ils désirent démontrer qu'il a été censuré. Bien que ce soit effectivement l'une des seules mesures utilisables, elle est également très mauvaise: d'une part, tous les épisodes ne font pas exactement la même durée au Japon. La durée standard d'un épisode est de 26 (ou 24) minutes mais généralement ceci inclut les génériques qui n'ont pas nécessairement la même durée qu'en France. D'autre part, il faut prendre en compte le problème technique de la conversion du NTSC en PAL. Le Japon utilise le même système de diffusion télévisée que les Etats-Unis, différent du procédé européen (qu'on appelle le PAL, ainsi que son dérivé français le SECAM que nous n'allons pas prendre en considération ici pour des raisons de simplicité). La différence principale entre les deux est le nombre d'images par seconde : dans le premier cas il est de 29, dans le second il est de 24. Il existe des convertisseurs, qu'on appelle transcodeurs, mais ils sont obligés d'effectuer la conversion selon un prorata d'images diffusées. Ainsi la version PAL se retrouve au final plus courte que la version NTSC. Bien que le changement soit imperceptible à l'oeil nu et à l'échelle d'une seconde, il est sensible quand on atteint des durées de diffusion de plusieurs minutes. Cela n'empêche pas qu'il puisse sembler, à raison, parfaitement anormal que des épisodes initialement longs de 24 minutes se retrouvent à en faire 13 seulement.

L'arrivée du DVD

L'arrivée du DVD change un grand nombre de données du problème. Nous en mentionnons quelques-unes ici. Tout d'abord, c'est un nouveau marché avec un produit qui est déterminant : la qualité de l'image, du son et des menus des DVD en font plus que le simple marché de renouvellement qu'est devenue la cassette vidéo. D'autre part, c'est un produit à la classification de "luxe". Les acheteurs de DVD recherchent avant tout une qualité qui leur est offerte dans la plupart des titres. Par conséquent le consommateur cesse d'être traité comme un imbécile à qui on fait avaler n'importe quoi. De ce fait, le revenu de tels produits est supérieur et l'investissement aussi. Pour y faire figurer une VO, il faut repartir des pistes originales japonaises. On peut imaginer que les versions intégrales y existent puisqu'il y aura de toute manière une synchronisation son. Mais ceci est une longue histoire, et peut-être l'objet d'un futur article...

© 2000 Cedric Littardi et Marie Moretti pour Manga' Distribution.

NDL : Merci à Valérie Motta de Manga' Distribution.

 

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*Ludovic Gottigny. Tous droits réservés*