Interview : Shingo Araki
L'interview qui suit a été réalisée par Federico Colpi, membre éminent de Dynamic Visions (que vous pouvez voir au générique de pas mal d'animés tels que Cowboy Bebop, Kenshin,...). Si l'interview ne mentionne pas de date, elle semble néanmoins très récente. Et surtout, elle est d'un grand intérêt pour qui s'intéresse un tant soit peu au génie du character-design. C'est pour ces différentes raisons que je l'ai traduite de l'italien à votre attention.
Araki au Cartoonist de Paris (Photo prise par Seiyachan - copyright) |
#Federico Colpi: Comment est venu votre intérêt pour
les mangas ? Shingo Araki : D'un amour naturel qui a jaillit d'un péché de jeunesse. Tout jeune, je détestais aller à l'école, j'éprouvais de la répulsion pour la physique. Dès que j'entrais dans une école, j'étais pris par de violentes migraines et mes professeurs d'université, exaspérés, me renvoyaient à la maison. Ce qui me laissait le temps de dessiner toute la journée. J'ai toujours dessiné et les murs de la maison étaient partout couverts de croquis. Plus tard, la grande opportunité se présenta lorsque Machi m'accepta comme dessinateur. Mais j'ai dû me rendre à l'évidence, avec une grande déception : je ne pourrais jamais être auteur de mangas. Bien que mon attrait pour le dessin fût grand, je n'avais pas le sens de l'histoire, de la narration. Et puis, à 26 ans, après m'être installé à Tôkyô, j'ai été engagé par Mushi Production, le studio d'Osamu Tezuka, ce qui me combla de joie. Là, j'ai pu illustrer des histoires écrites par d'autres et cela me suffisait. |
#Federico
Colpi : Quelle entreprise était Mushi
à l'époque ? Elle est à l'origine, si je ne m'abuse, de la
création d'un nombre important de séries de qualité à
succès... C'est pourquoi je n'ai jamais réussis à comprendre
la raison de la faillite...
Shingo Araki : La Mushi était
le plus grand studio de l'époque. 200 personnes y travaillaient
lorsque j'y suis entré, et cela atteindra même les 400
personnes, un nombre impensable même pour la Toei. A l'époque,
nous arrivions à traiter 4 séries en même temps, un effort que
peu de monde pouvait supporter. La raison de la faillite est
simple : il fallait entretenir les contrats de tous ces employés
et très vite, Tezuka vit ses poches vidées par ces salaires. La
Mushi déclara la banqueroute mais les syndicats
occupèrent l'entreprise et réussirent à la maintenir en vie
jusqu'à aujourd'hui. Elle continue toujours à produire pour le
format vidéo. Tezuka, de son côté, a donné vie à Tezuka
Productions avec quelques collaborateurs. Ils sont encore
actifs aujourd'hui, avec Seisho monogatari par exemple (Les aventures de la Bible).
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#Federico Colpi : Quel était votre rôle chez Mushi
Productions ? Shingo Araki : Sur Jungle Taitei, j'ai travaillé comme animateur et intervalliste. Il en va de même pour la seconde série, Susume! Leo. Depuis Ganbare! Marine Kid jusqu'à Attack N°1, j'ai continué à glaner de l'expérience en tant qu'animateur, composant aussi quelques story-boards pour Parman, puis finalement en 1970 se présenta l'aubaine Ashita no Joe. Depuis cet anime, je fus chargé de la direction de l'animation.
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#Federico
Colpi : Pouvez-vous nous préciser en
quoi consiste ce poste ?
Shingo Araki : Certainement. Les dessins qui composent une
scène animée sont réalisés par un certain nombre de
personnes, lesquelles ont des aptitudes et des styles variés. Si
l'on se contente d'utiliser ces différents dessins tels quels,
la fluidité de l'image ne serait pas uniforme. Le rôle du
directeur consiste à corriger ces dessins si nécessaire (comme
par exemple dans les anatomies, ou l'expression du visage, plus
difficiles à rendre) et leur donner une unité stylistique.
Réviser des dessins déjà effectués, on peut songer à un
travail facile, mais en réalité il demande beaucoup de temps et
une certaine expérience de l'animation. Dans Versailles
no Bara, pour citer un exemple, il était
nécessaire de corriger l'entièreté des dessins car ceux qui
nous étaient parvenus en provenance de la Tokyo
Movie Shinsha étaient totalement tronqués dans
leur anatomie et dans les caractéristiques graphiques des
personnages.
#Federico Colpi : S'occuper de Versailles no
Bara fut peut-être un
travail ardu mais le résultat est magnifique. Peut-être
la série ayant le plus beau design dans l'histoire de la
télévision... Shingo Araki : Merci. Pour cette série, la direction de l'animation de tous les épisodes m'a été confiée, chose plutôt rare pour un animé. Parce que c'est un travail qui demande énormément de temps, la supervision du design est en général confiée à environ 4 personnes ; chacune d'entre elles dirige un épisode par mois. Dans un animé, il ny a pas duniformité dans le dessin, il change dun épisode à lautre par cycle de quatre à cinq épisodes, selon celui qui la soigné. C'est la raison pour laquelle dans beaucoup de séries, comme Saint Seiya entre autres, il existe une grande différence qualitative entre les épisodes. Versailles no Bara et Ashita no Joe en partie, où les épisodes sont révisés par le même staff, sont l'exception qui confirme la règle de la télévision. Initialement, même Aishite Night (Embrasse-moi, Lucile) devait être traité selon les même critères, mais la plupart du temps je me suis occupé d'un épisode sur 4. |
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#Federico Colpi : A propos de Ashita no Joe,
pourquoi la série s'est-elle arrêtée de façon aussi
inattendue en dépit du large succès qu'elle remportait
? Problèmes économiques ? Shingo Araki : Non. Simplement, l'anime s'était aligné sur le manga, ainsi il aurait été nécessaire de continuer à développer l'esprit de l'oeuvre indépendamment du manga. Il fut décidé d'interrompre la production de l'anime de façon à respecter l'oeuvre de Chiba, qui venait de l' achever. |
#Federico
Colpi : Au début de votre carrière,
vous vous êtes occupé d'un grand nombre de séries sportives,
comme animateur (Kyojin no Hoshi, Animal
One, Attack N°1) et
comme animateur et, sur certains épisodes, directeur de
l'animation (Ashita no Joe, Kick no Oni,
Apache Yakyugun)... Cependant, il
semble que votre style n'ait pas été beaucoup sollicité par ce
genre assez rude. Qu'en pensez-vous ?
Shingo Araki : A cette époque, je navais pas encore
élaboré un trait aussi propre et fin comme aujourdhui, et
je n'avais pas de problèmes particuliers à réaliser ces
séries. Pour Joe, j'avais essayé de rendre les
dessins les plus similaires possible aux cases énergiques de Tetsuya
Chiba (auteur d' Ashita no Joe). Je garde la
plupart de mes meilleurs souvenirs de l'époque de Kyojin
no Hoshi. Ce dernier était le premier anime de
sport à la télévision et cette saga témoigne de l'archétype
général de ce genre de série. Mais l'équipe qui a travaillé
sur Kyojin no Hoshi ne disposait d'
aucun exemple antérieur pour s'inspirer, ce qui la condamna à
expérimenter de nouvelles techniques d'animation pour rendre les
images suffisamment dynamiques ; l'idée par exemple de
représenter l'effort des athlètes projetant la balle de façon
démesurée, ou que celle-ci, pour donner un meilleur rendu de la
vitesse, se déforme après avoir été frappée et emprunte une
forme ovale...
#Federico Colpi : C'était votre idée ? Shingo Araki : En effet. Pour une série qui avait pour fondement l'activité physique et l'expression de la puissance des athlètes, il était nécessaire de dépasser les limites des animés produits jusqu'alors. |
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#Federico Colpi : Le succès de Kyojin no Hoshi a probablement été déterminé par lusage de ces nouvelles techniques danimation, et effectivement elles ont été reprises dans toutes les autres séries sportives Même si, dans certaines séries, lidée dexagérer les mouvements produisait des situations peu crédibles (comme dans Captain Tsubasa)...
Shingo Araki : Oui. Cependant, en revenant à ce que j'ai dit
précédemment, indépendamment du style de la série, on peut
tirer des enseignements de grande valeur de chaque expérience
vécue. Des séries de sports, j'ai appris à rendre le sens du
dynamisme dans les dessins ; de séries comme Cutey
Honey où beaucoup de nus
apparaissent, j'ai appris à mieux maîtriser l'anatomie...
Egalement, de la coproduction avec la France (Note d'Arion : pour
Ulysse 31, Inspecteur
Gadget et Lupin VIII),
pour lesquels j'ai imaginé des personnages qui étaient
probablement plus éloignés de mon style, j'ai beaucoup appris.
La manière narrative des français est plus douce que celle des
japonais, les actions et le mouvement ne sont pas exprimés avec
la technique japonaise de l'exagération. Parce qu'ils ne font
pas des gestes et mouvements incroyables, un plus grand soin est
nécessaire dans l'élaboration des personnages des animés
français. Cependant, si je n'ai pas appris dans Kyojin
no Hoshi et Babel nisei
à rendre l'importance de la dynamique du signe, j'ai pu
apprendre dans les dessins animés français que le design des
personnages est de la plus haute importance, et c'est pourquoi
cela nécessite un soin tout particulier. Si, je n'avais pas eu
toutes ces expériences, je n'aurais jamais réussi à dessiner
du Saint Seiya.
#Federico Colpi : Saint Seiya est
considéré par les critiques et les fans comme la quintessence
de vos capacités artistiques. Qu'en pensez-vous ?
Shingo Araki : Effectivement, Saint Seiya
est né de cet objectif. Si on regarde les Saints de plus près,
on peut voir qu'ils représentent les 5 modèles les plus
récurrents dans ma carrière : Seiya est un
sanguin comme l'était Takuma Ichimonji (dans Wakusei
Danguard Ace) ou Babel (Babel Nisei).
Hyoga était le beau, comme l'était Tony
Herken (Wakusei Danguard Ace) ou Serge
(Hana no Ko Lunlun), qui comme Herken, est un personnage
qui doit beaucoup à la patte de Michi Himeno; Shiryû
s'apparente au beau mystérieux et parfois le "type
froid" comme Daisuke Umon (UFO Robot
Grendizer) ou André dans Versailles no
Bara. Ikki est un personnage matûre comme Fersen
(Versailles no Bara); Shun, pour finir,
est le personnage à la sensibilité plus féminine qui, plus
qu'un homme, fait penser à des héroïnes comme Marie-Antoinette
(Versailles no Bara), Meg (Meg-Chan)
ou Maria (UFO Robot Grendizer).
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#Federico Colpi : Parmi tous ces personnages, quel est
celui qui a votre faveur ? Shingo Araki : Cela peut sembler étrange, mais il s 'agit probablement de Babel (Babel Nisei). C'est le premier personnage que j'aie dû adapter. De plus, lorsque je dessinais des mangas, j'ai créé beaucoup de personnages qui comme Babel avait un visage infantile et portaient des uniformes scolaires. De plus, Babel Nisei a été une expérience importante dans ma carrière. De cette série, j'ai appris a exprimer le dynamisme, le sens de la vitesse et le sens du temps et de la narration. Il s'agit sans doute de l'expérience la plus précieuse de ma carrière, car dessiner Babel m'a permis d'exprimer mes aptitudes, en me débarassant de cette "peur" qui me tenaillait en travaillant sur chaque anime. |
#Federico
Colpi : J'ai lu dans une interview
que, plus qu'un designer d'animés dans l'âme, vous vous
considériez comme un mangaka raté...
Shingo Araki : Oui, le fait que je ne sois jamais parvenu à
créer un manga à succès, ce que j'avais toujours désiré
faire, continue encore à me tourmenter.
#Federico Colpi : Vous ne pensez pas à écrire à nouveau un
sujet original, comme au temps où vous dessiniez des mangas ?
Shingo Araki : J'y ai pensé de nombreuses fois mais, d'un
côté, je ne me sens pas confiant ; d'un autre côté je suis
trop occupé avec les animés pour élaborer quelque chose de
vraiment personnel.
#Federico Colpi : Si vous deviez écrire votre propre histoire,
quel en serait le sujet ?
Shingo Araki : Probablement une fable, ce qui correspond à ce
que j'avais toujours envie de faire en manga. Ou une fiction...
#Federico Colpi : Mais parmi les oeuvres qui ont été adaptées
en anime, y en a-t-il qui ont comblé le designer ? Versailles
no Bara, ou Saint Seiya...
Shingo Araki : Non, rien de ce que j'ai fait ne m'a totalement
satisfait.
#Federico Colpi : Vous voulez dire que, à la fin d'un animé,
vous ne vous êtes jamais dit "Voilà un beau travail"
?
Shingo Araki : Eh bien... Oui, en fait... Oui, il y a quelque
chose dont je suis relativement fier. Je parle des trois derniers
films de Saint Seiya. Oui,
ceux-ci sont très bien faits.
#Federico Colpi : Vous avez en effet réalisé peu de travaux
pour le cinéma...
Shingo Araki : J'ai fait quelques longs métrages, mais
exclusivement pour le marché des OAV.
#Federico Colpi : J'ai lu une superbe critique là-dessus,
laquelle disait que vous aviez fait de trop beaux dessins pour le
cinéma. Je m'explique : une série TV utilise un nombre limité
de dessins, et la qualité de ceux-ci détermine la qualité de
l'anime. Au contraire, un long métrage utilise un nombre
élevé de dessins de façon à avoir une animation plus fluide;
mais pour cela, chaque dessin ne demeure à l'écran que l'espace
d'une fraction de seconde et le spectateur n'a pas le temps
suffisant pour en déguster la beauté. Ainsi, votre talent
graphique ne sera pas valorisé dans un film. Qu'en pensez-vous ?
Shingo Araki : Bah... (souris, embarassé)
#Federico
Colpi : Personnellement, je n'hésite
pas à dire qu'un film comme Akira,
réalisé avec un nombre ahurissant de dessins, a un impact
visuel moins grand que Versailles no Bara ou Saint
Seiya, réalisés avec peu de dessins mais qui sont mieux
traités...
Shingo Araki : Cela dépend des goûts... (toujours
embarassé)
#Federico Colpi : Parlons maintenant d'un fait-divers qui a fait
la une des journaux japonais : le vol chez Araki
Productions.
Shingo Araki : Ah, on n'en a pas encore parlé ? Le
responsable a été retrouvé. C'était un de mes fans qui, la
nuit, s'était introduit dans les studios en brisant la vitre
près de la porte d'entrée et qui avait volé 3000 celluloïdes.
S'il s'était limité à cela, il n'y aurait probablement pas eu
de suite. Mais il a eu la bonne idée de les vendre à des prix
allant de 10 à 100000 yens.
#Federico Colpi : 100000 yens ? Excusez-moi mais, vous ne les
vendez pas à la Toei entre 500 et 800 yens pièce ?
Shingo Araki : Oui, c'est le prix normal pour un Cellulo. Mais
ni la Toei ni les autres studios ne possèdent encore des dessins
de moi, c est pourquoi les cours ont grimpés !
Interview réalisée par Federico Colpi pour Dynamic Visions Italia. Traduite de l'italien par moi-même. Un grand merci à MegaGéGé et Pallas !
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