Interview : Shingo Araki

 

L'interview qui suit a été réalisée par Federico Colpi, membre éminent de Dynamic Visions (que vous pouvez voir au générique de pas mal d'animés tels que Cowboy Bebop, Kenshin,...). Si l'interview ne mentionne pas de date, elle semble néanmoins très récente. Et surtout, elle est d'un grand intérêt pour qui s'intéresse un tant soit peu au génie du character-design. C'est pour ces différentes raisons que je l'ai traduite de l'italien à votre attention.

Araki au Cartoonist de Paris en 2001
Araki au Cartoonist de Paris (Photo prise par Seiyachan - copyright)
#Federico Colpi: Comment est venu votre intérêt pour les mangas ?

Shingo Araki : D'un amour naturel qui a jaillit d'un péché de jeunesse. Tout jeune, je détestais aller à l'école, j'éprouvais de la répulsion pour la physique. Dès que j'entrais dans une école, j'étais pris par de violentes migraines et mes professeurs d'université, exaspérés, me renvoyaient à la maison. Ce qui me laissait le temps de dessiner toute la journée. J'ai toujours dessiné et les murs de la maison étaient partout couverts de croquis. Plus tard, la grande opportunité se présenta lorsque Machi m'accepta comme dessinateur. Mais j'ai dû me rendre à l'évidence, avec une grande déception : je ne pourrais jamais être auteur de mangas. Bien que mon attrait pour le dessin fût grand, je n'avais pas le sens de l'histoire, de la narration. Et puis, à 26 ans, après m'être installé à Tôkyô, j'ai été engagé par Mushi Production, le studio d'Osamu Tezuka, ce qui me combla de joie. Là, j'ai pu illustrer des histoires écrites par d'autres et cela me suffisait.

#Federico Colpi : Quelle entreprise était Mushi à l'époque ? Elle est à l'origine, si je ne m'abuse, de la création d'un nombre important de séries de qualité à succès... C'est pourquoi je n'ai jamais réussis à comprendre la raison de la faillite...

Shingo Araki : La Mushi était le plus grand studio de l'époque. 200 personnes y travaillaient lorsque j'y suis entré, et cela atteindra même les 400 personnes, un nombre impensable même pour la Toei. A l'époque, nous arrivions à traiter 4 séries en même temps, un effort que peu de monde pouvait supporter. La raison de la faillite est simple : il fallait entretenir les contrats de tous ces employés et très vite, Tezuka vit ses poches vidées par ces salaires. La Mushi déclara la banqueroute mais les syndicats occupèrent l'entreprise et réussirent à la maintenir en vie jusqu'à aujourd'hui. Elle continue toujours à produire pour le format vidéo. Tezuka, de son côté, a donné vie à Tezuka Productions avec quelques collaborateurs. Ils sont encore actifs aujourd'hui, avec Seisho monogatari par exemple (Les aventures de la Bible).


Parman

#Federico Colpi : Quel était votre rôle chez Mushi Productions ?

Shingo Araki : Sur Jungle Taitei, j'ai travaillé comme animateur et intervalliste. Il en va de même pour la seconde série, Susume! Leo. Depuis Ganbare! Marine Kid jusqu'à Attack N°1, j'ai continué à glaner de l'expérience en tant qu'animateur, composant aussi quelques story-boards pour Parman, puis finalement en 1970 se présenta l'aubaine Ashita no Joe. Depuis cet anime, je fus chargé de la direction de l'animation.


Jungle Taitei

#Federico Colpi : Pouvez-vous nous préciser en quoi consiste ce poste ?

Shingo Araki : Certainement. Les dessins qui composent une scène animée sont réalisés par un certain nombre de personnes, lesquelles ont des aptitudes et des styles variés. Si l'on se contente d'utiliser ces différents dessins tels quels, la fluidité de l'image ne serait pas uniforme. Le rôle du directeur consiste à corriger ces dessins si nécessaire (comme par exemple dans les anatomies, ou l'expression du visage, plus difficiles à rendre) et leur donner une unité stylistique. Réviser des dessins déjà effectués, on peut songer à un travail facile, mais en réalité il demande beaucoup de temps et une certaine expérience  de l'animation. Dans Versailles no Bara, pour citer un exemple, il était nécessaire de corriger l'entièreté des dessins car ceux qui nous étaient parvenus en provenance de la Tokyo Movie Shinsha étaient totalement tronqués dans leur anatomie et dans les caractéristiques graphiques des personnages.

#Federico Colpi : S'occuper de Versailles no Bara fut peut-être un travail ardu mais le résultat est magnifique. Peut-être la série ayant le plus beau design dans l'histoire de la télévision...

Shingo Araki : Merci. Pour cette série, la direction de l'animation de tous les épisodes m'a été confiée, chose plutôt rare pour un animé. Parce que c'est un travail qui demande énormément de temps, la supervision du design est en général confiée à environ 4 personnes ; chacune d'entre elles dirige un épisode par mois. Dans un animé, il n’y a pas d’uniformité dans le dessin, il change d’un épisode à l’autre par cycle de quatre à cinq épisodes, selon celui qui l’a soigné. C'est la raison pour laquelle dans beaucoup de séries, comme Saint Seiya entre autres, il existe une grande différence qualitative entre les épisodes. Versailles no Bara et Ashita no Joe en partie, où les épisodes sont révisés par le même staff, sont l'exception qui confirme la règle de la télévision. Initialement, même Aishite Night (Embrasse-moi, Lucile) devait être traité selon les même critères, mais la plupart du temps je me suis occupé d'un épisode sur 4.


Versailles no Bara


Ashita no Joe

#Federico Colpi : A propos de Ashita no Joe, pourquoi la série s'est-elle arrêtée de façon aussi inattendue en dépit du large succès qu'elle remportait ? Problèmes économiques ?
Shingo Araki : Non. Simplement, l'anime s'était aligné sur le manga, ainsi il aurait été nécessaire de continuer à développer l'esprit de l'oeuvre indépendamment du manga. Il fut décidé d'interrompre la production de l'anime de façon à respecter l'oeuvre de Chiba, qui venait de l' achever.

#Federico Colpi : Au début de votre carrière, vous vous êtes occupé d'un grand nombre de séries sportives, comme animateur (Kyojin no Hoshi, Animal One, Attack N°1) et comme animateur et, sur certains épisodes, directeur de l'animation (Ashita no Joe, Kick no Oni, Apache Yakyugun)... Cependant, il semble que votre style n'ait pas été beaucoup sollicité par ce genre assez rude. Qu'en pensez-vous ?

Shingo Araki : A cette époque, je n’avais pas encore élaboré un trait aussi propre et fin comme aujourd’hui, et je n'avais pas de problèmes particuliers à réaliser ces séries. Pour Joe, j'avais essayé de rendre les dessins les plus similaires possible aux cases énergiques de Tetsuya Chiba (auteur d' Ashita no Joe). Je garde la plupart de mes meilleurs souvenirs de l'époque de Kyojin no Hoshi. Ce dernier était le premier anime de sport à la télévision et cette saga témoigne de l'archétype général de ce genre de série. Mais l'équipe qui a travaillé sur Kyojin no Hoshi ne disposait d' aucun exemple antérieur pour s'inspirer, ce qui la condamna à expérimenter de nouvelles techniques d'animation pour rendre les images suffisamment dynamiques ; l'idée par exemple de représenter l'effort des athlètes projetant la balle de façon démesurée, ou que celle-ci, pour donner un meilleur rendu de la vitesse, se déforme après avoir été frappée et emprunte une forme ovale...

#Federico Colpi : C'était votre idée ?

Shingo Araki : En effet. Pour une série qui avait pour fondement l'activité physique et l'expression de la puissance des athlètes, il était nécessaire de dépasser les limites des animés produits jusqu'alors.


Kyojin no Hoshi

#Federico Colpi : Le succès de Kyojin no Hoshi a probablement été déterminé par l’usage de ces nouvelles techniques d’animation, et effectivement elles ont été reprises dans toutes les autres séries sportives… Même si, dans certaines séries, l’idée d’exagérer les mouvements produisait des situations peu crédibles (comme dans Captain Tsubasa)...

Shingo Araki : Oui. Cependant, en revenant à ce que j'ai dit précédemment, indépendamment du style de la série, on peut tirer des enseignements de grande valeur de chaque expérience vécue. Des séries de sports, j'ai appris à rendre le sens du dynamisme dans les dessins ; de séries comme Cutey Honey où beaucoup de nus apparaissent, j'ai appris à mieux maîtriser l'anatomie... Egalement, de la coproduction avec la France (Note d'Arion : pour Ulysse 31, Inspecteur Gadget et Lupin VIII), pour lesquels j'ai imaginé des personnages qui étaient probablement plus éloignés de mon style, j'ai beaucoup appris. La manière narrative des français est plus douce que celle des japonais, les actions et le mouvement ne sont pas exprimés avec la technique japonaise de l'exagération. Parce qu'ils ne font pas des gestes et mouvements incroyables, un plus grand soin est nécessaire dans l'élaboration des personnages des animés français. Cependant, si je n'ai pas appris dans Kyojin no Hoshi et Babel nisei à rendre l'importance de la dynamique du signe, j'ai pu apprendre dans les dessins animés français que le design des personnages est de la plus haute importance, et c'est pourquoi cela nécessite un soin tout particulier. Si, je n'avais pas eu toutes ces expériences, je n'aurais jamais réussi à dessiner du Saint Seiya.

#Federico Colpi : Saint Seiya est considéré par les critiques et les fans comme la quintessence de vos capacités artistiques. Qu'en pensez-vous ?

Shingo Araki : Effectivement, Saint Seiya est né de cet objectif. Si on regarde les Saints de plus près, on peut voir qu'ils représentent les 5 modèles les plus récurrents dans ma carrière : Seiya est un sanguin comme l'était Takuma Ichimonji (dans Wakusei Danguard Ace) ou Babel (Babel Nisei). Hyoga était le beau, comme l'était Tony Herken (Wakusei Danguard Ace) ou Serge (Hana no Ko Lunlun), qui comme Herken, est un personnage qui doit beaucoup à la patte de Michi Himeno; Shiryû s'apparente au beau mystérieux et parfois le "type froid" comme Daisuke Umon (UFO Robot Grendizer) ou André dans Versailles no Bara. Ikki est un personnage matûre comme Fersen (Versailles no Bara); Shun, pour finir, est le personnage à la sensibilité plus féminine qui, plus qu'un homme, fait penser à des héroïnes comme Marie-Antoinette (Versailles no Bara), Meg (Meg-Chan) ou Maria (UFO Robot Grendizer).


Babel Nisei

#Federico Colpi : Parmi tous ces personnages, quel est celui qui a votre faveur ?

Shingo Araki : Cela peut sembler étrange, mais il s 'agit probablement de Babel (Babel Nisei). C'est le premier personnage que j'aie dû adapter. De plus, lorsque je dessinais des mangas, j'ai créé beaucoup de personnages qui comme Babel avait un visage infantile et portaient des uniformes scolaires. De plus, Babel Nisei a été une expérience importante dans ma carrière. De cette série, j'ai appris a exprimer le dynamisme, le sens de la vitesse et le sens du temps et de la narration. Il s'agit sans doute de l'expérience la plus précieuse de ma carrière, car dessiner Babel m'a permis d'exprimer mes aptitudes, en me débarassant de cette "peur" qui me tenaillait en travaillant sur chaque anime.

#Federico Colpi : J'ai lu dans une interview que, plus qu'un designer d'animés dans l'âme, vous vous considériez comme un mangaka raté...

Shingo Araki : Oui, le fait que je ne sois jamais parvenu à créer un manga à succès, ce que j'avais toujours désiré faire, continue encore à me tourmenter.


#Federico Colpi : Vous ne pensez pas à écrire à nouveau un sujet original, comme au temps où vous dessiniez des mangas ?

Shingo Araki : J'y ai pensé de nombreuses fois mais, d'un côté, je ne me sens pas confiant ; d'un autre côté je suis trop occupé avec les animés pour élaborer quelque chose de vraiment personnel.



#Federico Colpi : Si vous deviez écrire votre propre histoire, quel en serait le sujet ?

Shingo Araki : Probablement une fable, ce qui correspond à ce que j'avais toujours envie de faire en manga. Ou une fiction...


#Federico Colpi : Mais parmi les oeuvres qui ont été adaptées en anime, y en a-t-il qui ont comblé le designer ? Versailles no Bara, ou Saint Seiya...

Shingo Araki : Non, rien de ce que j'ai fait ne m'a totalement satisfait.


#Federico Colpi : Vous voulez dire que, à la fin d'un animé, vous ne vous êtes jamais dit "Voilà un beau travail" ?

Shingo Araki : Eh bien... Oui, en fait... Oui, il y a quelque chose dont je suis relativement fier. Je parle des trois derniers films de Saint Seiya. Oui, ceux-ci sont très bien faits.



#Federico Colpi : Vous avez en effet réalisé peu de travaux pour le cinéma...

Shingo Araki : J'ai fait quelques longs métrages, mais exclusivement pour le marché des OAV.


#Federico Colpi :  J'ai lu une superbe critique là-dessus, laquelle disait que vous aviez fait de trop beaux dessins pour le cinéma. Je m'explique : une série TV utilise un nombre limité de dessins, et la qualité de ceux-ci détermine la qualité de l'anime.  Au contraire, un long métrage utilise un nombre élevé de dessins de façon à avoir une animation plus fluide; mais pour cela, chaque dessin ne demeure à l'écran que l'espace d'une fraction de seconde et le spectateur n'a pas le temps suffisant pour en déguster la beauté. Ainsi, votre talent graphique ne sera pas valorisé dans un film. Qu'en pensez-vous ?

Shingo Araki : Bah... (souris, embarassé)

#Federico Colpi : Personnellement, je n'hésite pas à dire qu'un film comme Akira, réalisé avec un nombre ahurissant de dessins, a un impact visuel moins grand que Versailles no Bara ou Saint Seiya, réalisés avec peu de dessins mais qui sont mieux traités...

Shingo Araki : Cela dépend des goûts... (toujours embarassé)


#Federico Colpi : Parlons maintenant d'un fait-divers qui a fait la une des journaux japonais : le vol chez Araki Productions.

Shingo Araki : Ah, on n'en a pas encore parlé ? Le responsable a été retrouvé. C'était un de mes fans qui, la nuit, s'était introduit dans les studios en brisant la vitre près de la porte d'entrée et qui avait volé 3000 celluloïdes. S'il s'était limité à cela, il n'y aurait probablement pas eu de suite. Mais il a eu la bonne idée de les vendre à des prix allant de 10 à 100000 yens.


#Federico Colpi : 100000 yens ? Excusez-moi mais, vous ne les vendez pas à la Toei entre 500 et 800 yens pièce ?

Shingo Araki : Oui, c'est le prix normal pour un Cellulo. Mais ni la Toei ni les autres studios ne possèdent encore des dessins de moi, c ‘est pourquoi les cours ont grimpés !

Interview réalisée par Federico Colpi pour Dynamic Visions Italia. Traduite de l'italien par moi-même. Un grand merci à MegaGéGé et Pallas !

Vers :

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*Ludovic Gottigny. Tous droits réservés*