Shigeyasu Yamauchi - L’interview (Partie 2)
Seconde et dernière partie de l’entretien accordé par Yamauchi à l’excellent journaliste Yôichirô Oguro, dont la traduction vous est généreusement offerte par Skippy 5.
SHIGEYASU YAMAUCHI : Une carrière en or !
Je change un peu de sujet : avez-vous toujours eu envie de créer un film à partir d’une ambiance ?
Yamauchi : Oui. J’aime beaucoup les films comme « Hécate » de Daniel Schmid ou « Le mari de la coiffeuse » de Patrice Leconte. Je pense que l’être humain ressent l’angoisse ou l’amusement en écoutant ou en touchant mais aussi avec les autres sens. Ces éléments qui vont au-delà des cinq sens sont nécessaires à l’être humain pour vivre et c’est quelque chose qui peut être éclairci si on y réfléchit longtemps. Je compte mettre ceci désormais dans mes films.
J’aimerais revenir un peu plus loin dans le passé.
Yamauchi : Allez-y.
Comment êtes-vous arrivé dans l’animation ?
Yamauchi : Cela fait plus de 30 ans. J’ai interrompu mes études à l’université et je cherchais un petit boulot dans le journal. Il y avait une offre d’emploi pour un studio d’animation. Je ne m’y connaissais pas trop mais je me suis dit que c’était un monde d’images. Et une fois dedans, ça s’est avéré vrai. J’ai souhaité travailler dans ce milieu plus par fascination pour l’univers des images que par amour de l’animation. Je suis d’abord entré à Ashi Productions.
Vraiment ?
Yamauchi : C’était lors de la production de « Blocker Gundan 4 Machine Blusters ». M. Masami Annô en était le réalisateur. C’était mon premier mentor, sans doute. Quand je suis arrivé, je n’y connaissais rien en animation et au bout de 6 mois, je faisais de la mise en scène. M. Annô m’a remis un story-board et m’a ordonné de le mettre en scène ! Et bizarrement, j’étais certain que je pouvais le faire. J’ai mis en scène en apprenant tout ce qui était technique. Avec cet épisode, j’ai obtenu l’assurance que je pouvais mettre en scène. Quand on y repense, j’ai réussi à me persuader de cela sans doute parce que j’étais jeune. (rires)
Par la suite, j’en suis venu à travailler chez la Toei et M. Kôzô Morishita s’est bien occupé de moi. (NB 3 : Kôzô Morishita, réalisateur du chapitre du Sanctuaire de “Saint Seiya” et du premier film, est un vétéran de la mise en scène qui s’est depuis reconverti en producteur pour Tôei). Et je n’ai fait quasiment que de l’action.
En vous retournant sur votre carrière, quel fut l’œuvre qui en fut le tournant ?
Yamauchi : Dès que j’ai commencé la mise en scène, je n’ai fait que des séries d’actions. Je suis bon à ça et j’aime aussi beaucoup. Je me suis ensuite aperçu qu’il y avait d’autres choses « délicieuses » dans de la mise en scène normale. J’ai toujours dit chez Toei que je voulais faire une série centrée sur la mise en scène et le jeu. Cela a donné « Hana yori dango ».
Sinon, même si cela précède un peu, le tournant de ma carrière est bien ma rencontre avec Shingo Araki dans « Saint Seiya » (NB4 : Shingo Araki est un animateur vétéran connu pour son travail sur « Versailles no Bara » et « Saint Seiya ». C’est le plus grand spécialiste du style « personnages beaux » [bikei chara]). A cette époque, j’aimais beaucoup le graphisme de Masami Suda de la Tatsunoko. Lorsque j’ai vu le graphisme de M. Araki, j’ai été décontenancé au début. Mais plus je travaillais sur « Saint Seiya » plus j’ai été attiré par les expressions “normales” qu’il dessinait. Cette expression normale, tranquille sur le visage qui n’est ni de la colère ni du rire. C’est ce qui est bien dans les expressions qu’il dessine. Peut-être est-ce lié à ce que j’aime des films de Daniel Schmid évoqué tout à l’heure. Peu à peu, je me suis mis à m’orienter vers ce genre d’expression dans mes story-boards. Et en travaillant avec lui, j’ai appris à connaître le charme humain de M. Araki. Le gros tournant de ma carrière, c’est « Saint Seiya » ou plutôt le graphisme de Shingo Araki. Quand je vois combien il travaille maintenant alors que c’est un sacré vétéran, je me dis que je dois au moins en faire autant.
Que pensez-vous de la vision artistique du graphisme de M. Araki ?
Yamauchi : Vous parlez de ses beaux personnages ?
Ca et son style d’action.
Yamauchi : J’ai trouvé son style d’action extraordinaire. M. Araki sait contenir le nombre de cellulos nécessaires à une scène mais quand il le faut, il met et dessine beaucoup de plans clé (genga). J’ai bien vu que c’était quelqu’un qui avait fortement étudié le mouvement. Et puis, vous connaissez la série « Aoki densetsu Shoot ! » ? Je n’ai pas fait de mise en scène sur cette série mais le graphisme de M.Araki était vraiment “sexy”. Sans qu’il n’y ait de nu, juste avec la manière dont les personnages étaient assis par exemple.
Il y a un éclat voluptueux.
Yamauchi : Oui, il y a un éclat. Vraiment. Ce n’est pas quelque chose auquel pense M. Araki consciemment. Cela fait juste partie de son identité artistique.
Pour moi, le film « Saint Seiya Kamigami no atsuki tatakai » est une œuvre particulière. Lorsque je regardais autrefois « Space Cruiser Yamato », j’étais certain que l’animation dans le futur ressemblerait à quelque chose de similaire à ce film.
Yamauchi : (rires)
Avec une grande échelle comme « Yamato », une musique grandiose, des visuels éclatants… On en devient ivre à force de regarder. Je pensais qu’il y aurait beaucoup d’œuvres comme cela et ça n’a pas eu lieu. (rires). L’émotion de « Yamato » s’est éteinte. Mais « Kamigami no atsuki tatakai » en est proche. On peut regarder cette œuvre avec une émotion similaire à celle de Yamato mais revigorée.
Yamauchi : Ce que vous me dites me touche. (rires) Lorsque je ne faisais que de l’action, on me surnommait « Yamauchi des effets de lumières ». (« hikarimono no Yamauchi »)
Ah oui, c’est vrai que votre gestion des effets de lumière était fantastique.
Yamauchi : Dans ce film, le graphisme de M. Araki était bien sûr fantastique mais la musique de M. Seïji Yokoyama était aussi très bonne.
C‘est surprenant combien l’image et la musique allaient ensemble.
Yamauchi : M. Yokoyama a accordé sa musique en fonction de l’image. Il a beaucoup travaillé dessus à l’époque. J’essaie toujours de travailler en divisant dramaturgie, image et son. Je pense l’avoir bien réussi dans les films de « Saint Seiya ».
Et il ne faut pas oublier l’histoire du voyage vers la résidence secondaire dans « Hana yori dango ». Cette scène a eu un énorme impact. (NB5 : l’épisode 43)
Yamauchi : Je voulais faire ressortir l’aspect extraordinaire du graphisme de Yoshihiko Umakoshi (NB 6 : le character designer dans « Hana yori dango »). Je dis souvent aux animateurs qu’un dessin d’animation doit avoir une composition et une qualité graphique permettant d’être exposé seul sur un mur sans aucune honte. J’ai durant cet épisode voulu pousser cette idée jusqu’au bout. Par exemple, rendre les plans où l’on ne voit que les jambes ou les pieds voluptueux. Ne faire que ce genre de plans. J’ai aussi beaucoup travaillé sur le son. Comme l’hiver, il y a souvent peu de bruit, j’ai mis le grincement du parquet ou le bruit de la neige qui tombe d’un arbre au loin : j’ai demandé à M. Ishino, chargé des bruitages, de mettre des bruits auxquels nous ne faisons pas attention normalement. Et pour la fin, comme je n’avais pas de chanson qui allait à l’ambiance, j’ai demandé à Makiko Shibahara qui s’occupait de la sélection des musiques d’en composer une.
Ce que je veux faire s’étend souvent à toute la production ; comme ce fut le cas durant ce film de « Digimon ». Hiromi Seki (la productrice) se moque souvent de moi en disant qu’elle se fait attirer dans mon monde de folie.
Un monde de folie ? (rires)
Yamauchi : Oui. Cela fait peur dit comme ça mais il ne s’agit pas d’horreur. C’est surtout cet aspect mentionné tout à l’heure de faire fonctionner les 5 sens. Il y avait aussi cet aspect dans les films de « Magical Taruruto ».Si cela peut se transmettre au staff puis à tout le studio, ça peut se transmettre au spectateur. Il m’arrive souvent depuis longtemps de créer ces mondes de folie.
Le film de « Hana Yori Dango » était vraiment… Ah, je devrais peut être éviter de le dire….
Yamauchi : Pourquoi ? Dites-le.
C’était une œuvre très… différente…
Yamauchi : (rires) Ce film est un peu raté. La musique de ce film n’est pas allée dans la direction que je souhaitais. Si on reprend le découpage drama, image et son, la musique n’a pas suivi la même direction et n’a pu permettre l’impact souhaité.
Je vois. Vous visiez donc la même chose que sur « Saint Seiya » ou ce film de « Digimon ». Est-ce que cela veut dire que votre approche diffère beaucoup sur les films par rapport aux séries TV ?
Yamauchi : Je ne suis pas sûr.
En fait, durant les épisodes TV, vous restez centré sur l’histoire. Dans les films, vous pouvez vous concentrer sur l’expressionnisme. Vous êtes donc plus sur l’ambiance que sur l’histoire.
Yamauchi : ce n’est pas le cas de la série « Hana Yori Dango ». J’ai changé cela durant la série TV.
Durant la série, vous vous êtes concentré sur l’ambiance ?
Yamauchi : Oui. Seulement dans les épisodes que je mettais en scène. Au début, j’étais surtout sur une action bien joyeuse et un bon rythme. Et en plein cours, j’ai changé et me suis concentré sur une réalisation avec un focus sur l’ambiance. Comme l’épisode marquant que vous venez de mentionner. J’ai pu agir très librement dans cette série.
Ne souhaitez vous pas être superviseur de série (sôkantoku) plutôt que réalisateur (series director) ? Ceci vous permettrait de pouvoir toucher à chaque épisode.
Yamauchi : Oui, j’aimerais bien le faire. Mais il n’y a pas de série qui me correspond bien. Si je devais occuper ce poste, ce serait pour une série comme celle que fait Junichi Satô chez HAL Film.
« Strange Dawn » ?
Yamauchi : Oui. Il y a un aspect un peu effrayant dans cette série. Satô n’a jamais montré cet aspect chez Toei et il se lâche enfin ailleurs.
Ce sont des personnages mignons dans une situation dure.
Yamauchi : Satô a toujours caché cet aspect de lui et a du finir par se lasser. S’il a une telle franchise, il devrait l’exprimer telle quelle. (NdT : à cette époque, M. Yamauchi est co-réalisateur avec M. Satô sur « Ojamajo Dorémi-chan ». Les deux hommes ont plusieurs fois collaboré sur de nombreuses séries Toei.)
A la base, vous aimez tout ce qui a une dramaturgie très riche.
Yamauchi : Oui.
Vous avez été très brillant sur « Ojamajo Dorémi ».
Yamauchi : Sur quelques épisodes seulement.
L’épisode sur Onpu-chan était très fort. (NB7 : Episode 49 de « Ojamajo Doremi-chan ». Un épisode contenant les traits bien caractéristiques de M. Yamauchi.)
Yamauchi : C’était un sujet très important sur la mise en scène. J’ai toujours détesté la manière de faire pleurer sur « Dorémi ». Sans que ça soit bon ou mauvais. Le scénario de « Dorémi » est très bien écrit et l’histoire suffit à nous faire pleurer. Mais ce genre d’œuvre peut faire pleurer sans donner de frisson. Mon épisode sur Onpu-chan a été fait de manière à faire pleurer de manière inattendue. Lorsque à la fin, Onpu-chan est arrivé trop tard sur le quai pour rattraper le train de son père, elle fait demi-tour et elle se retrouve dans le train subitement grâce à la magie de ses amies. Ca fait pleurer. Et j’ai insisté sur le choix des musiques sur ce moment. Et ça a donné un rendu très larmoyant.
Nous voyons bien que vous souhaitez travailler dans la mise en scène. Vous ne voulez pas juste vous contenter de transposer une histoire à l’écran.
Yamauchi : Si l’animation n’était que ça, on n’aurait pas besoin de metteur en scène, juste de bons animateurs pour créer les séquences. Quitte à le faire, il faut qu’il y ait une réelle mise en scène. Je me demande d’ailleurs toujours comment je peux gagner autant d’argent avec un travail aussi facile. Je ne connais pas trop le travail d’un employé de bureau ou autre mais je me demande si mon salaire n’est pas trop haut. Ce n’est pas que je me trouve particulièrement heureux. (rires). Mais si je compare les périodes où je ne fais rien et les périodes où je travaille, il s’avère qu’en majorité, je ne fais rien. Et pourtant, je gagne un tel salaire.
Vous vous dites que vous devez vous investir plus ?
Yamauchi : oui mais je sens que je commence à être assez marginal du courant actuel de l’animation. Si ce courant ne change pas, je me dis qu’il va falloir que je fasse quelque chose.
Devenir auteur et faire votre propre projet ?
Yamauchi : Oui, sans doute. Mais je ne suis pas sûr d’avoir assez d’ambition, de compétence ou d’initiative. Et puis, j’ai aussi le souci d’avoir une famille et des enfants.(rires)
(Le 17 juillet 2000 à l’université Ooizumi à Tokyo)
FILMOGRAPHIE SELECTIVE
1981 Mise en scène sur « Tiger Mask 2 » (TV)
1982 Mise en scène sur « Kikôkantaï Dairaga » (TV)
1983 Mise en scène sur « Kôsoku raïshuin Arubegasu » (TV)
1984 Mise en scène sur « Video senshi Laserion » (TV)
1986 Mise en scène sur « Saint Seiya » (TV)
1988 Réalisation de « Saint Seiya : kamigami no atsuki tatakai » (film)
Réalisation de « Saint Seiya : Shinku no shônen densetsu » (film)
1989 Mise en scène sur « TRANSFORMERS THE MOVIE » (film)
Mise en scène sur « Akuma-kun » (TV)
1990 Réalisation et mise en scène sur « Magical Taruruto-kun » (TV)
Mise en scène sur « DRAGON BALL Z »(TV)
1991 Réalisation de « Magical Taruruto-kun » (film)
Supervision sur « Inferious wakuseïshi gaïden Condition Green » (OAV)
Réalisation de « DRAGON FIST »(OAV)
Réalisation de « CRYING FREEMAN 4 » (OAV)
1992 Réalisation de « CRYING FREEMAN 5 » (OAV)
1993 Réalisation de « DRAGON BALL Z : Broly » (film)
Réalisation de « DRAGON BALL Z : Bojack » (film)
1994 Réalisation de « CRYING FREEMAN kanketsuhen » (OAV)
Réalisation de « DRAGON BALL Z : Retour de Broly » (film)
Réalisation de « DRAGON BALL Z : Bio Broly » (film)
1995 Réalisation de « DRAGON BALL Z : Gojeta » (film)
Supervision de « DRAGON BALL Z : Dragon punch » (film)
1996 Réalisation de « DRAGON BALL : saikyô he no michi » (film)
Réalisation de la série « Hana yori dango » (TV)
Mise en scène sur « Jigoku sensei Nubé » (TV)
1997 Réalisation de « Hana yori Dango » (film)
Réalisation de « Dr Slump » (TV)
Mise en scène sur « Yume no Crayon ôkoku » (TV)
1998 Story-board sur « Brain Powered » (TV) (1ère série non Toei)
Story-board sur « Cowboy Bebop » (TV)
1999 Réalisation de « Dr Slump : Arale no bikkuriban » (film)
Mise en scène sur « ojamajo Doremi-chan » (TV)
Mise en scène sur « ONE PIECE » (TV)
2000 Co-réalisateur et mise en scène sur « Ojamajo Dorémi-chan »(TV)
Réalisation de « Street fighter ZERO THE ANIMATION » (OAV)
Depuis, M. Yamauchi a réalisé le film de « Digimon Adventures 02 » mentionné durant cet entretien. Il a de plus réalisé un film sur la série « Doremi-chan » continuant sur la lignée de « fonctionnement des 5 sens ». Après avoir été réalisateur de la série d’OAV « Saint Seiya Meiô Hades : junikyûhen », il a réalisé le film « Saint Seiya Tenkaihen ~ Overture ». Il a ensuite supervisé la série « Xenosaga », puis semble s’être distancé de la Toei pour aller chez TMS réaliser la série « Mushi-king », une œuvre ayant beaucoup de caractéristiques de ce metteur en scène.
Merci à Skippy 5 !